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– Éternelle, rĂ©pĂ©ta-t-il. Et maintenant, revenons Ă  la question « comment » et « pourquoi ». Vous comprenez assez bien comment le Parti se maintient au pouvoir. Dites-moi maintenant pourquoi nous nous accrochons au pouvoir. Pour quel motif voulons-nous le pouvoir ? Allons, parlez, ajouta-t-il, comme Winston demeurait silencieux.

Pendant une minute ou deux, nĂ©anmoins, Winston n’ouvrit pas la bouche. Une impression de fatigue l’accablait. La lueur confuse d’enthousiasme fou avait disparu du visage d’O’Brien. Il prĂ©voyait ce que dirait O’Brien. Que le Parti ne cherchait pas le pouvoir en vue de ses propres fins, mais pour le bien de la majorité ; qu’il cherchait le pouvoir parce que, dans l’ensemble, les hommes Ă©taient des crĂ©atures frĂȘles et lĂąches qui ne pouvaient endurer la libertĂ© ni faire face Ă  la vĂ©ritĂ©, et devaient ĂȘtre dirigĂ©s et systĂ©matiquement trompĂ©s par ceux qui Ă©taient plus forts qu’eux ; que l’espĂšce humaine avait le choix entre la libertĂ© et le bonheur et que le bonheur valait mieux ; que le Parti Ă©tait le gardien Ă©ternel du faible, la secte qui se vouait au mal pour qu’il en sorte du bien, qui sacrifiait son propre bonheur Ă  celui des autres. Le terrible, pensa Winston, le terrible est que lorsque O’Brien prononçait ces mots, il y croyait. On pouvait le voir Ă  son visage. O’Brien savait tout. Il savait mille fois mieux que Winston ce qu’était le monde en rĂ©alitĂ©, dans quelle dĂ©gradation vivaient les ĂȘtres humains et par quels mensonges et quelle barbarie le Parti les maintenait dans cet Ă©tat. Il avait tout compris, tout pesĂ©, et cela ne changeait rien. Tout Ă©tait justifiĂ© par le but Ă  atteindre. « Que peut-on, pensa Winston, contre le fou qui est plus intelligent que vous, qui Ă©coute volontiers vos arguments, puis persiste simplement dans sa folie ? »

– Vous nous gouvernez pour notre propre bien, dit-il faiblement. Vous pensez que les ĂȘtres humains ne sont pas capables de se diriger eux-mĂȘmes et qu’alors


Il sursauta et pleura presque. Il avait Ă©tĂ© traversĂ© d’un Ă©lancement douloureux. O’Brien avait poussĂ© le levier du cadran au-dessus de 35


– C’est stupide, Winston, stupide, dit-il. Vous feriez mieux de ne pas dire de pareilles sottises.

Il recula la manette et continua :

– Je vais vous donner la rĂ©ponse Ă  ma question. La voici : le Parti recherche le pouvoir pour le pouvoir, exclusivement pour le pouvoir. Le bien des autres ne l’intĂ©resse pas. Il ne recherche ni la richesse, ni le luxe, ni une longue vie, ni le bonheur. Il ne recherche que le pouvoir. Le pur pouvoir. Ce que signifie pouvoir pur, vous le comprendrez tout de suite. Nous diffĂ©rons de toutes les oligarchies du passĂ© en ce que nous savons ce que nous voulons. Toutes les autres, mĂȘme celles qui nous ressemblent, Ă©taient des poltronnes et des hypocrites.


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Extrait du roman 1984 de George Orwell


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